Avec l’adoption du Projet de loi no. 37 le 9 juin 2022, le droit de préemption, initialement uniquement détenu par la Ville de Montréal via son propre règlement municipal, a été étendu à toutes les municipalités du Québec et depuis, nous commençons lentement, mais sûrement à observer sa mise en application.
Nous vous rappelons que l’outil permet à une municipalité d’acheter en priorité certains terrains et immeubles mis en vente afin de réaliser, entre autres, des projets de logements sociaux et abordables.
En pratique, une municipalité qui souhaite exercer son droit de préemption doit adopter un règlement identifiant les immeubles assujettis. Les propriétaires desdits immeubles se verront notifier un avis d’assujettissement de leur immeuble, lequel sera également publié au Registre foncier du Québec. Les propriétaires des immeubles assujettis qui seront parties à une offre d’achat avec un potentiel acheteur devront, une fois que cet acheteur se sera déclaré satisfait de sa vérification diligente, notifier à la municipalité, sous peine de nullité de la vente, un avis d’intention mentionnant le prix et les conditions de la vente projetée ainsi que le nom de l’acheteur. En effet, ce n’est pas au moment de la signature de l’offre que la municipalité doit être avisée, mais bien une fois que la vérification diligente est complétée. La municipalité aura dès lors 60 jours pour exercer ou non son droit de préemption.
Dans l’hypothèse où la ville déciderait de se prévaloir de son droit de préemption, elle devra dédommager l’acheteur pour les dépenses raisonnables qu’il a engagées dans le cadre de la négociation de l’offre d’achat. Bien que le projet de loi n’énumère pas les dépenses raisonnables dédommagées, nous pourrions penser que celles-ci incluraient les coûts reliés aux recherches sur les titres, aux études environnementales et géotechniques et aux autres éléments d’une vérification diligente standard. Est-ce que cela pourrait aller jusqu’au remboursement des honoraires des conseillers juridiques engagés dans le processus de négociation et aux frais bancaires et autres reliés à l’obtention d’un financement? Malheureusement, il est encore tôt pour en avoir toute la certitude.
En pratique, ledit droit de préemption impliquera que l’offre d’achat devra stipuler que l’acquisition restera conditionnelle tant et aussi longtemps que le délai octroyé à la ville ne sera pas écoulé. Par ailleurs, même si les termes et conditions de l’offre d’achat ne lient pas l’autorité publique, une rédaction bénéfique à l’acheteur pourrait prévoir l’énumération des dépenses raisonnables susceptibles d’être couvertes par le dédommagement ou y spécifier des mécanismes de collaboration entre le vendeur et l’acheteur, le tout afin d’assister l’acheteur pour l’obtention du dédommagement prévu dans l’hypothèse où la municipalité déciderait d’exercer son droit de préemption.
Nous comprenons la nécessité de faire face aux enjeux sociaux actuels, mais l’existence d’un droit de préemption pourrait décourager plusieurs éventuels acheteurs face aux délais d’acquisition plus longs, à l’incertitude quant à l’aboutissement de l’acquisition et à la crainte d’entamer des démarches administratives laborieuses pour obtenir le dédommagement des dépenses raisonnables et, conséquemment, de vaines dépenses. Il reste à voir si l’exception demeurera la règle!
Elisa Eouzan
Avocate