Dans les mois suivant le début de la pandémie, l’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (AUCLC) a été mise en place afin d’aider les petites entreprises locataires durement touchées par les mesures sanitaires.
En participant à ce programme d’aide, le partage du loyer se faisait selon les proportions suivantes :
- Locataire : 25%
- Bailleur : 25%
- SCHL : 50%
Si les modalités et conditions d’admissibilité à l’AUCLC ont suscité plusieurs interrogations lors de sa mise en place, le fait que la participation à ce programme d’aide dépende entièrement de la volonté des bailleurs a également fait couler beaucoup d’encre.
En effet, plusieurs locataires ont invoqué qu’un bailleur éligible, mais refusant d’y participer, ne devrait pas pouvoir exiger le plein paiement du loyer de ses locataires.
Le 9 mars 2022, la Cour du Québec, dans la décision 9098-5722 Québec inc. c. 9302-6573 Québec inc. (Bar Lucky 7)[1], a certainement tranché une partie de ce débat en déterminant que le fait qu’un bailleur admissible choisisse de ne pas participer à l’AUCLC ne constitue pas un geste de mauvaise foi et qu’en ce cas, le locataire devait payer intégralement son loyer.
Dans le cadre de son analyse, la Cour énonce clairement le choix qui se présentait au bailleur en l’espèce :
[37] 9098 (bailleur) était donc confrontée au choix d’accepter une perte 25 % de ses revenus pour une certaine période ou prendre le risque de tout perdre au cas où la situation emportait économiquement son locataire.
En choisissant la seconde option, le bailleur prenait donc une décision et un risque d’affaires, tout simplement. En effet, vu le cadre entièrement volontaire de ce programme, ce choix ne peut, selon la Cour, être assimilé à de la mauvaise foi de la part du bailleur. Ici, le tribunal n’y voit aucune intention de nuire et rejette, du même souffle, l’argument du locataire voulant que le bailleur n’ait pas minimisé ses dommages, notion intimement reliée à la bonne foi.
Partant, le tribunal conclut que l’intégralité du loyer convenu par bail est payable par le locataire et ne manque pas de rappeler que tous les intervenants du milieu immobilier ont été touchés par la pandémie et que les bailleurs aussi avaient des obligations financières à respecter.
Par ailleurs, pour ce qui est des autres éléments du recours intenté par le bailleur, la Cour résilie le bail, au motif que le défaut du locataire de payer presque 29 500 $ en loyer, alors qu’il avait reçu une subvention gouvernementale de l’ordre de 75 % du loyer convenu par ailleurs, constitue un préjudice suffisamment sérieux pour mériter la sanction ultime en matière de baux.
Finalement, le tribunal condamne même le locataire au paiement des honoraires d’avocats encourus par le bailleur pour faire valoir ses droits, et ce, en application de la clause pénale prévue au bail après en avoir étudié la validité au moyen des critères jurisprudentiels applicables. Comme quoi, une telle clause, lorsqu’adéquatement rédigée, peut être un outil bien utile.
Bref, retenons que l’AUCLC était définie par son volontarisme et que, ce faisant, un bailleur pouvait tout à fait décider de ne pas s’en prévaloir, et ce, sans pour autant être de mauvaise foi aux yeux de la justice.
Parions que cette décision permettra à quelques bailleurs de dormir plus tranquillement, quoique peut-être pas à poings totalement fermés, alors que le tribunal laisse la porte ouverte aux locataires dans des cas où un bailleur aurait refusé de participer au programme gouvernemental dans une pure intention de leur nuire.
Un prochain jugement viendra peut-être nous en donner un exemple concret, que nous tâcherons, bien sûr, de vous partager !
François Nantel
Avocat associé
Pierre-Olivier Bouvier-Leblanc
Avocat
[1] 2022 QCCQ 1473